Au milieu du XXe siècle, la haute couture était l’expression ultime de l’expérience du luxe, particulièrement pour les femmes. Un univers exclusif et raffiné entourait les créations dessinées par les couturiers et taillées sur mesure pour chaque cliente, les règles régissant le processus d’achat, ainsi que le contexte social dans lequel ces créations étaient présentées. Cristóbal Balenciaga est considéré comme « le maître » de la haute couture, et sa contribution est une référence en la matière.
Un maître de la haute couture
Cristóbal Balenciaga a révolutionné le concept de l’habillement et la silhouette féminine. La perfection était pour lui une obligation, et ses aptitudes techniques extraordinaires lui facilitaient la tâche. Toujours en quête d’innovations, il cherchait à obtenir plus de simplicité et de pureté dans les formes. Pour la styliste Coco Chanel, il était « le seul véritable couturier parmi [eux], capable de dessiner, de couper, d’assembler et de coudre une robe entièrement par lui-même ».
Cristóbal Balenciaga mérite son titre de « Maître » en raison de la perfection de ses créations et de sa capacité à être en avance sur son temps en créant un langage technique et visuel inédit pour la silhouette féminine. Son travail a résisté au passage du temps et est aujourd’hui plus pertinent que jamais.
Le luxe n’a pas la même signification pour tout le monde : caractère unique ou exclusif, affirmation du statut social, etc. Dans l’univers de la haute couture de la maison Balenciaga, il était également perçu comme un moyen d’accéder à une certaine élégance, d’avoir confiance en soi et de mettre en valeur sa silhouette sans sacrifier le côté confortable ou pratique. Tous ces aspects s’harmonisaient grâce à la perfection du choix du tissu, de la coupe et de l’ajustement.
Le façonnement de l’expérience
Le travail de couture de Cristóbal Balenciaga dénote une exigence et une rigueur si rares que son allure ne tarde pas à faire école. Dès son arrivée à Paris, en 1937, le maître espagnol introduit une collection ‘Infante’ largement inspirée de la flamboyance des pièces d’un siècle passé comme transmis par les toiles de Goya ou Zuloaga. Le succès est immédiat, et retentissant ! « Dès l’ouverture de sa maison parisienne, les premiers vêtements qu’il a présentés avaient, malgré leur simplicité, quelque chose de majestueux – en un mot, ce que l’on appelle de ‘l’allure’. C’est lui qui a redéfini la silhouette féminine des années 1950, et les vêtements qui nous semblent si caractéristiques de cette époque ne sont en réalité que des variations de ce que faisait Balenciaga » précise ainsi Susan Irvine dans son ouvrage référence Balenciaga Vu Par Vogue.
Très vite, la fascination du public Parisien pour les peintres espagnols se manifeste dans ces robes qui, dès lors, accompagnent les belles durant les nombreux bals et autres galas organisés un peu partout dans la capitale. « Un exemple, la robe Infanta conçue pour Madame Bember pour être portée à un bal costumé Louis XIV, organisé par le Conte et la Comtesse de Beaumont en Août 1939 » peut-on ainsi lire dans le livre Cristóbal Balenciaga : la Forge du Maître, publié en 2010. Et ce n’est que le début, tant le ‘couturier des couturiers’ rapidement enchaînent les pièces iconiques : la robe-ballon, la Baby Doll, le Boléro, la robe-sac sont autant de its qui trouvent preneur chez de nombre femmes de renoms, ou de rang royal.
Il faut dire que Cristóbal Balenciaga dessinait avec cette majestueuse femme en tête – une femme de 40 ans : « Contrairement à Dior, Balenciaga hésitait à engager comme mannequins des jeunes femmes attirantes : les femmes qui tenaient ce rôle chez lui avaient souvent la quarantaine, tout comme ses clientes. Les différents mannequins reflétaient la morphologie de ses clientes de l’époque. Elles étaient la preuve vivante que toutes les femmes pouvaient avoir de l’allure en portant ses vêtements » précise Susan Irvine.
Des clientes inconditionnelles
En 1962, le maître réalise ainsi la robe pour le mariage de Fabiola de Mora y Aragón et le Roi des Belges ; deux ans plus tard, c’est la Duchesse de Windsor qui lui commande une toilette pour son portrait officiel… Hubert de Givenchy a d’ailleurs déclaré que son ultime vision de l’élégance fut celle de la duchesse de Windsor debout à l’une des fenêtres de l’Hôtel Lambert à Paris, portant une robe Balenciaga jaune. En 1963, la Comtesse Von Bismarck acquiert 88 tenues Balenciaga – dont le très iconique Boléro. Lorsqu’en 1968 la nouvelle de la fermeture de la maison Balenciaga éclate, Diana Vreeland relate : « Mona n’est pas sortie de sa chambre depuis trois jours. Je veux dire… c’était la fin d’une certaine partie de sa vie ! »
Plus tard, Grace Kelly devenue de Monaco ne jure que par ses créations – « Le premier essayage chez Balenciaga vaut le troisième ailleurs » assurait aussi la grande Marlène Dietrich. Ces pièces étaient d’une grande élégance, certes, mais d’une élégance sans effort – une allure d’où se dégage un je-ne-sais quoi de très affirmé !
« LA HAUTE COUTURE EST UN GRAND ORCHESTRE QUE SEUL BALENCIAGA SAIT DIRIGER, TOUS LES AUTRES CRÉATEURS QUE NOUS SOMMES SUIVONS SIMPLEMENT SES INDICATIONS. »
Christian DIOR
Quels créateurs ont succédé à Cristóbal Balenciaga ?
En 1986, le groupe Jacques Bogart acquiert la marque et Michel Goma , un créateur toulousain, est nommé à sa tête. Il est ensuite remplacé en 1991 par le néerlandais Josephus Thimister , qui lance la ligne de prêt- à-porter Le Dix en hommage au parfum du même nom sorti en 1947.
En 1997, c’est au tour de Nicolas Ghesquière d’occuper le poste directeur artistique de Balenciaga. Quatre ans plus tard, le groupe Gucci , qui appartient alors à 42% à PPR (Pinault-Printemps-Redoute) rachète la marque à Jacques Bogart. La maison française intègre alors l’entreprise de luxe qui est aujourd’hui devenue Kering. Sous le règne de Nicolas Ghesquière, Balenciaga revit et atteint des sommets de vitesse: it bags en série (le Classic), ligne masculine en 2004, égéries d’exception (comme son amie Charlotte Gainsbourg)…
En novembre 2012, son départ de la maison s’annonce et Nicolas Ghesquière est remplacé par Alexander Wang. L’Américain reste trois ans à la tête de la maison de couture. Jusqu’en 2015, année au cours de laquelle le Géorgien über cool Demna Gvasalia est choisi pour insuffler une nouvelle énergie à la maison Balenciaga. Connu pour son label pointu Vetements, le créateur va repousser les limites de la marque et, selon ses dires, transposer les archives Balenciaga des années 50 à aujourd’hui, pour les adapter au futur… ».
La maison Balenciaga, interprétée par Cédric Charbit depuis 2016, ne cesse de créer l’événement lors de ses défilés qui se déroulent en petit comité. Derniers coups d’éclat en date : Demna Gvasalia a réinitialisé la couture avec une collection honorant plus que jamais l’héritage de Cristóbal Balenciaga pour l’automne-hiver 2022-2023.
Ukraine : la tribune de Demna Gvasalia
À l’occasion de la présentation de la collection Hiver 2022-2023 à Paris par la maison de luxe, ce fut l’occasion de rappeler les engagements de la marque et de son directeur artistique face au conflit armé qui se joue actuellement en Ukraine.
Des mannequins défilant dans de la – fausse – neige, face au vent, des sacs de voyage à bout de bras. À l’heure où l’Ukraine subit les assauts de l’armée russe, Balenciaga a voulu inclure à son dernier défilé des éléments faisant référence à l’exode des populations. Imaginé il y a plusieurs mois, le décor avait initialement été conçu afin de faire référence à l’urgence climatique, les invitations au show ayant d’ailleurs été communiquées sous forme d’iPhones usagés, gravés aux couleurs de la maison.
Alors que Giorgio Armani avait coupé la bande-son de son dernier défilé en guise de soutien, Balenciaga a ici ouvert sa présentation sur un poème en ukrainien récité par Demna Gvasalia ; une prise de position aussi vitale que personnelle pour le directeur artistique qui a fui son pays natal, la Géorgie, au début des années 90.