Il devait être vétérinaire, il a fait magicien. Et il a bien fait : à 35 ans, sans tirer un lapin d’un chapeau, Laurent Piron a été sacré Champion du Monde 2022 de magie, après avoir été Champion d’Europe en 2021. D’Aubel (Liège) à Vancouver, Los Angeles ou Sydney, portrait d’un Wallon qui ne se contente pas de faire illusion.
Son parcours, comme souvent, n’avait rien d’évident au départ. Bien sûr, le papa de Laurent est un professionnel dans la location de technique, matériel d’éclairage, de sono. Sa société de Soumagne, Infini, est prestataire depuis des années dans les spectacles et concerts de toute la région. Pas mal d’artistes passaient donc à la maison mais aucun magicien ne semble, comme les fées, s’être penché sur le berceau du petit garçon. “Ils ne sont d’ailleurs pas nombreux en Belgique, pas plus d’une dizaine en Wallonie. En fait, j’étais embarqué dans des études de vétérinaire quand, à 18 ans, un ami m’a montré un tour de magie. Un grand classique: la disparition d’un foulard. Il l’a mis en boule dans la main, a refermé le poing, a soufflé dessus et zou ! Plus de foulard. J’étais bluffé, je voulais comprendre. Ce jour-là, ma vie a changé.”
Ce jour-là, Laurent a également compris qu’on ne devient pas illusionniste, manipulateur, prestidigitateur d’un coup de baguette magique. Poudlard serait une belle invention mais comme aucune école chez nous ne forme au métier, les apprentis magiciens grappillent savoir et tours de main en se frottant aux professionnels, après les spectacles, dans des congrès, dans des clubs. Le Cercle Royal Magique Liégeois, “Les 52”, en est un des plus réputés. Laurent l’a fréquenté, comme d’autres clubs, se perfectionnant petit à petit. A 21 ans, ses études ne le satisfaisaient pas. Il a eu une furieuse envie de changer d’air et est parti pour une année de “vacances-travail” au Canada. Bosser ne l’a jamais fait pâlir, à Vancouver ou ailleurs, il y a dégoté un petit boulot et là… “J’étais au travail et, par la fenêtre, je vois un magicien qui faisait ses tours dans la rue en amusant la galerie. Il avait un incroyable bagou, il mettait les rieurs dans sa poche et les gens déposaient volontiers un ou deux dollars dans son chapeau. En l’observant, jour après jour, je me suis rendu compte que ce gars gagnait sa vie, sans doute mieux que moi, et en rigolant ! Qui n’aurait pas envie de ça ?”
L’université du trottoir
Laurent, lui aussi, y est allé. Mais il a fait mieux que traverser la rue pour trouver son job, selon le mot célèbre d’Emmanuel Macron: il a traversé les océans. Après le Canada, direction l’Australie, pour l’été. Une exceptionnelle “école de la rue”, à Sydney, puis en Nouvelle Zélande, qui lui a permis de parfaire son anglais et sa pratique de la magie en close-up. “C’est super-instructif, parce que la rue, c’est beaucoup plus dynamique que la scène; en rue, on se saisit de tout ce qui passe, un chien qui court après un chat, une voiture qui dépose quelqu’un, pour relancer l’intérêt des spectateurs, répondre du tac au tac à leurs vannes, les surprendre, les émerveiller…”
Sans cette véritable “univ’ de trottoir” qu’il a pu faire à la belle saison australe, quand l’Europe grelotte, le jeune magicien n’aurait pas aussi vite acquis dextérité et aisance avec le public le plus exigeant qui soit, celui qui n’est pas venu pour voir une performance, mais s’arrête par hasard. Il faut vraiment capter et retenir son attention, le séduire, pratiquement l’hypnotiser pour qu’il reste sur place. Laurent Piron a vite excellé dans cet art-là mais c’est en allant à des festivals européens comme Avignon ou Edimbourg qu’il a pu accéder à une dimension supérieure, celle d’un véritable spectacle théâtral. La rencontre de Hugo van de Plas, devenu depuis son metteur en scène, a été décisive pour lui permettre d’envisager de sortir des codes habituels de la magie et de scénariser son show.
Le premier résultat de cette collaboration, intitulé (comme par hasard) “13, rue du Hasard”, a obtenu le prix du Public au Festival d’Avignon et a été joué 300 fois, un peu partout, au Bénin comme à Shanghaï ou au Japon. Surfant sur son succès, les deux compères en ont extrait un numéro visuel spectaculaire pour des galas et des concours. Le numéro, qui se termine sur l’apparition de 3000 balles de caoutchouc mousse, applaudi au Championnat du Monde de magie en Italie, leur a valu d’être les invités à Los Angeles d’America’s got Talent, le plus grand show T.V. des Etats-Unis, avec dans le jury des pointures comme Heidi Klum ou une Spice Girl.
Aussi à l’aise sur un plateau T.V. que sur un trottoir et parlant parfaitement l’anglais, Laurent a “cassé la baraque” aux Etats-Unis et depuis, il n’arrête plus. Avec Hugo et une deuxième partenaire, Sylvia Delsupexhe, une dramaturge devenue sa compagne, il a créé la Compagnie Alogique pour produire et diffuser ses spectacles. Toujours plus sophistiquées, mieux scénarisées, ses productions récentes appartiennent désormais à ce qu’on nomme “Nouvelle Magie”.
La Nouvelle Magie dans une boulette de papier
Eh oui, comme il y a eu la nouvelle cuisine, il y a la nouvelle magie. Pas une révolution, plutôt une évolution, enclenchée en grande partie par l’enseignement dispensé en France par Raphaël Navarro et sa compagnie 14/20 au sein du Centre National des Arts du Cirque. Laurent et Sylvia ont découvert avec cette formation la manière d’utiliser la magie comme un langage, qui fait passer un message et débouche sur une véritable création artistique. “Ce n’est plus le magicien qui, en tant que tel, s’adresse au public, c’est une mise en relation beaucoup plus poétique d’objets qui racontent une histoire intrigante…” C’est en suivant cette inspiration que le trio a créé en 2017 “Battement de cœur”, un spectacle magique où Laurent Piron entre en relation avec une boulette de papier qui prend mystérieusement vie et lui ménage des surprises incroyables. Depuis, ce battement de cœur s’est mis à battre la chamade; le numéro a triomphé au Championnat d’Europe 2021 avant de voir Laurent sacré Champion du Monde 2022 à Québec devant 2500 spectateurs, en catégorie “Magie Générale”. Car la magie des professionnels, comme les armées, a ses divisions: Magie Générale, Manipulation, Magie Humoristique, Mentalisme, Grande Illusion… Le plus célèbre des Grands Illusionnistes, David Copperfield, a appelé Laurent pour le féliciter en direct, bel hommage d’un pro à un autre. A qui le succès ne monte pas à la tête, du reste. Il voit avec plaisir les dates remplir son agenda, mais sait aussi que son plus grand défi, désormais, sera de focaliser son énergie créative qui a tendance à partir dans tous les sens. Comme la fameuse boulette de papier, tiens.
Stève Polus