RENCONTRE AVEC UNE ARTISTE PASSIONNÉE ET PASSIONNANTE QUI OEUVRE AVEC CONVICTION ET PROFESSIONNALISME À LA POURSUITE ET À LA SAUVEGARDE DE CE PATRIMOINE ARTISTIQUE RARE.
Ces « Jolités » ou » Bois de Spa » sont des objets décoratifs en bois tournés, incrustés, peints et vernis. Les sujets y figurant ont toujours suivi l’évolution des moeurs et des styles.
A compter du XVIe, Spa se montre comme étant le « Café de l’Europe ». Rois, tsars, musiciens ou écrivains célèbres, ducs ou industriels traversent l’Europe pour profiter de la salubrité et du bienfait de ses eaux. Feux d’artifices, spectacles, pique-niques géants, courses de chevaux, tout était organisé pour satisfaire cette clientèle exigeante et avide de plaisirs et nouveautés qu’on appelait les Bobelins. C’est dans cette ambiance de richesse, de raffinement et de luxe que l’art des « jolités » se développe. Il était de bon ton d’être l’heureux propriétaire d’une canne peinte, d’un coffret à bijoux, d’une boite à thé ou d’un vase peint .
De nombreuses familles bourgeoises, royales ou princières, des musées et des collectionneurs avertis détiennent aujourd’hui encore de jolies pièces représentatives de ce qui est considéré à ce jour comme l’un des sommets du savoir-faire wallon en matière d’art décoratif. Cet amour du beau et cette poursuite d’une technique artisanale codifiée est encore l’apanage de quelques artistes et passionnés qui veillent à la sauvegarde de ce patrimoine qui a contribué à donner à Spa ses lettres de noblesse.
Rencontre avec Micheline Crouquet, une artiste passionnée et passionnante qui oeuvre avec conviction et professionnalisme à la poursuite et à la sauvegarde de ce patrimoine artistique rare. Micheline Crouquet est une descendante de Collin Leloup de Breda, secrétaire d’Adolphe de la Marck, Evêque et Prince de Liège. La longue lignée des Leloup donna de nombreux artistes, dessinateurs, graveurs et fabricants de « Jolités » de Spa.
Micheline, quel parcours artistique as-tu suivi pour perpétuer avec autant de passion la tradition de l’art des « Jolités » de Spa dans lequel tes ancêtres ont été impliqués depuis le XVIIIe ?
Jeune, très jeune, dès que nous avons habité Spa, j’ai été imprégnée de raisonnances olfactives. Les promenades exaltaient mes sens : l’imagination exhaustive me racontait la mémoire des bois, des chemins, des fontaines.
Ensuite mes études en Art à Jonfosse et à l’Académie de Liège en gravure et anatomie n’ont été que les outils techniques pour réaliser ce que l’on ressent. La puissance de cette passion vainc les limites du temps. Ce noyau ancré profondément au-delà de la raison, fait parler l’âme.
C’est en essayant de restaurer avec précaution quelques boîtes que nous avions, que j’ai décortiqué et découvert les étapes successives qui étaient communes au “Bois de Spa”. Grâce aux précieux conseils de Monsieur Nyssen, chimiste et de Marcel Jamsin, ébéniste décorateur, mes recherches ont progressé.
Quel rôle joues-tu dans cette poursuite de la sauvegarde de cet art particulier ?
Cette force qui vient de l’univers me guide, m’instruit à redéfinir artistiquement l’identité initiale de Spa, par la réalisation de Jolités, qui en sont l’illustration. Autrefois les Jolités se vendaient par nécessité car il s’agissait d’objets usuels. Aujourd’hui ce n’est plus le cas elles sont devenues un produit de luxe. Mon rôle est de sauvegarder et protéger cet “art artisanal”. C’est dans le respect de la technique ancestrale que l’avenir des Jolités sera assuré. Je me déplace partout en Belgique ; Bruxelles, Brabant-Wallon, Hainaut, Flandre, Luxembourg, Liège et en France. On m’appelle “l’ambassadrice des Bois de Spa” (hihihi).
Incontestablement les « jolités » ne sont pas en voie de disparition mais une évolution dans les styles est certainement nécessaire pour entretenir l’enthousiasme d’une clientèle avertie. Comment vois-tu cette évolution ?
Les Jolités étaient considérées comme une “Industrie d’art” comme l’explique Lydwine de Moerloose dans son livre “Spa ville-écrin des Jolités” aux Editions Prisme. Á notre époque l’industrie n’existe plus, il reste l’Art. Les boîtes étaient d’abord des objets utilitaires décorés. Aujourd’hui la boîte est considérée comme objet artistique. Les sujets et compositions des Jolités et “Bois de Spa” ont toujours été adaptés aux modes des époques successives depuis le début du 18ème. Continuer l’application de cet état d’esprit est la survie des “Bois de Spa”. Introduire des sujets, des motifs, des compositions qui reflètent l’esprit de notre quotidien transcende les générations témoins de chaque époque ; à condition de respecter les trois piliers incontournables de la technique ancestrale.
La construction de la boîte selon la technique ancienne. Les proportions des boîtes sont respectées pour entrer dans l’harmonie de leurs aînées.
La peinture à la gouache transformée uniquement. L’encre de chine peut être utilisée.
Le vernis au tampon est indispensable. Il garantit le dessin et la boîte entière. Il peut durer des centaines d’années. Il est réversible. En aucun cas, il ne peut être remplacé par des vernis acryliques ou synthétiques comme certains en font usage, ce qui mettrai en péril votre Jolité.
Ces techniques ont de solides raisons de perdurer à travers les âges. Elles sont réversibles. Ce qui signifie, qu’à tout moment l’objet est restaurable. Cette technique ancestrale est porteuse de variations décoratives et représentatives. Je renseignerai avec plaisir les personnes désireuses d’approfondir la question. En respectant ces trois piliers, j’évolue en créant des motifs adaptés au goût du jour.
Les »Jolités » de Spa nécessitaient des techniques particulières. Je pense notamment au trempage du bois dans l’eau ferrugineuse pour griser le bois. Ces techniques perdurent-elles ?
Dans la technique du “Bois de Spa” rien n’est amené à disparaître. Mais l’art évolue au fil du temps. Nous ne réalisons plus de scène champêtre, mais d’autres motifs plus actuels, des dessins plus épurés. Par exemple je lazure légèrement le bois grisé pour créer des harmonies avec mes créations. Mais ces techniques restent des variations des trois piliers et de l’art ancestral.
Ainsi une artiste peintre, Pascale Christoffel, a transposé son art de la peinture abstraite et figurative sur des « Boites de Spa ». Un choix qui interpelle et séduit, mettant ainsi à l’honneur l’artisanat des « Boites de Spa »
Interview & Photos : Jean BOURSEAU
A VISITER
Musée de la Ville d’Eaux
Avenue Reine Astrid 77b – 4900 SPA
Ouvert du 2 mars au 10 novembre de 14 à 18H00
www.spavillaroyale.be
A LIRE
SPA Ville-écrin des Jolités par Lydwine de Moerloose
Prisme Edition 2018
CONTACT
Micheline Crouquet
Restauratrice de Bois de Spa
T +32 476 795 215