PASCAL COURCELLES
Les belles saisons

Dans son jardin d’amateur, 400 variétés de roses et d’autres fleurs ne sont pas encore sorties de leur léthargie. Mais le feu d’artifice de leurs couleurs éclate déjà sur les murs de sa maison-atelier. Des pétales par milliers, que l’inlassable peintre travaille et retravaille couche après couche. Pascal Courcelles? L’enthousiasme, la générosité créative de l’enfant lâché dans un jardin d’adultes et une sacrée énergie.

PHOTOS : © Robert Quint et S.P / TEXTE : Stève Polus

C’est qu’il en faut, de l’énergie, pour coller, modeler, fignoler les corolles multicolores de peinture à l’huile qu’il accumule, comme les alluvions dans le lit d’un fleuve. “Je sculpte mes tableaux”, résume Pascal Courcelles. Certaines de ses œuvres sont ainsi passées, saison après saison, année après année, du stade toile au stade béton. “Un jour, ma femme et moi avons sauté en l’air en entendant un grand bang dans la maison. On a cru qu’un camion avait défoncé un mur, c’était une toile qui s’était détachée et était tombée sur une chaise dans l’atelier. C’est rare, mais parfois, elles peuvent peser jusqu’à 70, 80 kilos. Le tableau n’avait rien, mais on a pu jeter la chaise…

Le paradoxe et le miracle de ce labeur d’enluminure à pleine pâte, c’est que la peinture de Pascal Courcelles est aussi merveilleusement légère, aérienne, que ses supports sont ancrés dans la matière. Elle éclate de lumière et de gaîté, elle joue avec les moments de la journée. Elle bavarde comme son créateur, aux vêtements de travail aussi constellés de taches de couleur que ses productions. Bref, elle ne se prend pas au sérieux et vous fait un clin d’œil rigolo. Comme l’enfant à qui on demande de prendre la pose pour une photo et à qui les adultes disent “tu veux te faire remarquer!

“C’est exactement le but assigné aux fleurs, par la nature: se faire remarquer. Les pétales des fleurs sont des objets façonnés pour être de véritables attrape-regard pour les pollinisateurs. Ils les voient de loin, sont attirés par eux. Comme ils attirent nos regards. D’ailleurs, l’œil humain voit bien plus que ce qu’il croit voir, à dix mètres, nous sommes capables de distinguer une pomme artificielle d’une vraie, et nous n’en sommes même pas conscients.”

Il a ses périodes bleue, rose, verte…

C’est vrai que tout est dans le regard, de l’artiste et du spectateur. Un mur entier du grand atelier de Pascal est occupé par un diptyque impressionnant, deux grandes toiles de feuillages aux tons d’automne, qui trahissent une influence japonisante. Il a conçu l’ensemble pour que l’œil du spectateur en poursuive inconsciemment le dessin en dehors de la toile, créant comme une fenêtre imaginaire; l’imagination fonctionne, le tableau respire le sous-bois lumineux. Mais où trouver des murs assez grands pour s’amuser à faire l’exercice? Parfait pour un hôtel particulier, ou un hôpital comme la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies, où il a 14 toiles – mais impossible à Paris où le mètre carré explose le prix du caviar. Alors, vu les contraintes d’espace d’aujourd’hui, l’artiste multiplie les formats, petit, moyen, grand, XXL, change les angles. Il laisse sa fantaisie jouer avec la lumière des saisons qui changent et lui offrir des périodes bleues, roses, jaunes, vertes. “En hiver, c’est sur les murs de l’atelier que les cycles de la nature se déroulent et s’affichent. Au jardin, la floraison de variétés rares, c’est un plaisir qui ne dure qu’un mois, mais le plaisir de l’attente de cette floraison, lui, il dure onze mois et quelle richesse de sensations…”

Il recycle tout, en circuit court

Comme à l’extérieur, de l’autre côté des baies immenses de l’atelier, rien n’est figé, tout évolue en permanence. Et tout est recyclé. Des restes de sa prolifique production, rien ne va au rebut, tout est réutilisé ou plutôt, détourné. Les tubes de peinture vidés, raclés jusqu’à la dernière bavure de couleur, sont ouverts aux ciseaux. Aplatis, ils sont enfilés sur un manche vertical et deviennent des totems. Idem pour leurs embouchures. Des découpures plus petites fourniront des éléments pour des mobiles. Tout et n’importe quoi peut servir de substrat à des additions de peinture qui s’étagent en dents de scie, dans une polychromie joyeuse. Elle éclabousse aussi le sol de l’atelier, recouvert de ces cartons de protection qu’utilisent les peintres en bâtiment. Il les change de temps en temps. Leur lumineuse blancheur fait éclater les couleurs des toiles et des dessins aux murs, comme celles des fleurs et des verts de l’extérieur. En contraste total avec les épaisseurs de matière qui sont un peu sa marque pour les amateurs, ses dessins sont souvent d’une finesse très élégante, à la Cocteau. Certains synthétisent d’un seul trait, à main levée, un moment de jazz (une de ses passions) ou des corps de femmes, d’autres font appel à l’aquarelle, d’autres encore éclatent de couleurs, un bleu strident souvent, qui lui vient tout droit de Grèce qu’il a sillonnée pendant plusieurs mois, adolescent, passant d’île en île avec son vélo à bord des ferrys. Avant d’oser se lancer à fond dans la peinture, il a été éducateur pour enfants handicapés pendant onze ans, travaillant la nuit pour pouvoir peindre le jour. La peinture et le dessin, pour lui, ont toujours été la voie royale alors même que, pendant ses études en 1975-1979 à Tournai, ses profs tentaient de l’en dissuader: “Ils voulaient me faire faire du conceptuel…”  Il a eu raison de suivre sa nature, elle lui a fait une fleur et elle continue.