RENAUD RUTTEN
L’interview

Né le 4 août 1963 à Liège, Renaud Rutten effectue un cursus d’études en latin/grec au collège Saint-Hadelin de Visé. Il entreprend ensuite des études de médecine pour suivre la même voie que son père chirurgien. Très vite, il comprend que la médecine n’est pas faite pour lui et qu’il doit envisager une autre carrière. Il deviendra saltimbanque…

RENAUD, COMMENT SE PASSE TON ENFANCE ?
J’ai vécu une enfance et donc une jeunesse heureuse à la campagne, dans le petit village d’Eben- Emael, rue Laumont, entre la rue Jean Ruth et la rue Jean Châtré. J’ai passé le plus clair de mon temps dans la ferme d’en face, sur les tracteurs, à charger les ballots, traire les vaches, être fermier, ça m’aurait bien plu. J’adore les tracteurs, les machines agricoles. Je trouve que les gens qui conçoivent ces machines à sarcler, à biner sont des génies. Je suis fasciné par toutes les machines. Je suis impressionné par les machines. Par hasard, j’ai visité l’usine Delacre. Il y a des machines qui coupent les biscuits, qui mettent un peu de chocolat. Quand tu vois toute l’ingéniosité de ces machines pour fabriquer un bête biscuit, c’est hallucinant. Je porte un grand coup de chapeau aux inventeurs de telles machineries. Je suis émerveillé par le gars qui ouvre un moteur de bagnole et qui fait disparaître le léger cliquetis comme par magie.

ET TOI, TU AS PLUTÔT DEUX MAINS GAUCHES ?
Ah non, pas du tout. Je ne suis expert en rien, mais j’aime bricoler, j’adore cuisiner. Je sais faire des tas de choses. Par contre, tout ce qui touche à l’informatique ou aux réseaux sociaux. Internet machin et tous ces trucs-là, je suis totalement nul. Mike, mon collaborateur ou ma fille me sont d’un grand soutien dans ce domaine.

TU AS QUAND-MÊME D’AUTRES PASSIONS QUE LA CUISINE OU LE BRICOLAGE ?
Dans tous mes défauts, je suis un immense joueur de cartes. Si j’étais riche, je passerais ma vie à jouer 9 trous au golf le matin, manger un petit morceau, et jouer au bridge ou au poker l’après-midi, je serais le plus heureux des hommes.

REVENONS À TA JEUNESSE.
Mère pédiatre, père chirurgien, je fais mes humanités au collège St-Hadelin à Visé. Un frère qui fait le droit, l’autre la gym à l’université et ma petite sœur qui fait psychologie et moi, je ne fais rien après mes humanités. Une petite tentative en médecine, mais ce n’est pas vraiment une réussite. Donc, le vilain petit canard de la famille monte sur les planches. Mais maintenant je gagne bien ma vie et je m’éclate.

PUR AUTODIDACTE ?
J’ai appris la base du métier. J’ai fait l’académie de Visé en arts dramatiques, déclamations, dictions, médaillé du gouvernement et tout le tralala … Après l’académie, sous les conseils de Jacques Herbet, on a formé, avec un groupe de copains, une compagnie d’impros. Rien à voir avec la pompeuse et chiante ligue soi-disant officielle où ils se déguisent en hockeyeurs autour d’une patinoire. Quand on a commencé nos propres spectacles d’impros, cette merveilleuse ligue voulait nous faire payer des droits. L’impro appartient à tout le monde, faut pas déconner. Les thèmes venaient du public. Les gens mettaient des mots dans une urne, on les tirait au sort et on improvisait sur le mot, sans triche. On a improvisé pendant 10 ans. On s’est bien amusé, mais après 10 ans ça s’étiole, pour différentes raisons. Y en a un qui veut faire un métier, un autre qui trouve qu’il voudrait coucher avec celle-là, mais elle ne veut pas, bref, ça s’étiole.

L’IMPRO, ÇA NOURRIT SON HOMME ?
Ben non, pendant ce temps-là, pour gagner ma vie, je travaille chez IBM. J’aurai vendu un passe- montagne à un sénégalais.

DÉLÉGUÉ COMMERCIAL ?
Non monsieur, ingénieur commercial ! Du moins, c’est ce qui était inscrit sur ma carte de visite, parce que moi, je n’ai jamais su ce qu’était un PC. Déjà mettre une prise … mais j’en ai vendu des milliers. Puis, j’ai trouvé un peu con de vendre pour des millions par mois pour n’en récolter que 2 ou 3.000 francs fin du mois.

DONC, CHANGEMENT DE VIE ET NOUVELLE AVENTURE ?
J’ai ouvert un petit resto qui s’appelait le « Sot l’y laisse ». Petit resto délicieux, juste à côté du vieux Liège. C’est le genre de petit resto où tu dois toujours être présent. C’est comme quand tu vas chez un pote et qu’à plusieurs reprises il n’est pas là, un moment, tu n’y retournes plus. J’ai du donc choisir entre le spectacle ou la restauration. J’ai revendu le resto et créé un duo d’impro avec mon ami Joël Michiels. Nous avons beaucoup voyagé dont 5 ans en Suisse. Puis j’ai fait des apparitions à la RTBF, j’ai gagné Rochefort et de fil en aiguille…

C’EST ROCHEFORT QUI A LANCÉ TA CARRIÈRE ?
Bizarrement non, j’ai eu quelques invitations dans d’autres festivals, mais comme à ce moment Rochefort et la RTBF étaient en guerre, cela ne m’a pas ouvert de portes. J’ai joué 6 mois à Paris au Point-virgule. Je jouais à 22h30, en 3ème partie du spectacle. Je passais après Stéphane Guillon et Sophie Forte. Sans aucune promotion, j’ai mangé mon pain noir. Parfois, il y avait 5 spectateurs, parfois 4, parfois zéro … C’était il y a 20 ans et c’était, je t’avoue, un peu compliqué. Et puis, les choses s’enchaînent, et tout fini par s’arranger.

COMMENT TE DÉFINIS-TU, PLUTÔT HUMORISTE, COMÉDIEN, ACTEUR ?
Un comédien, un saltimbanque. J’aime bien le mot saltimbanque. Mastroianni disait : « On fait ce métier parce qu’on ne sait rien faire d’autre et parce que ce n’est pas très compliqué ». C’est gentiment dit, mais, il faut bosser. Brel disait « Il faut être préparé à recevoir la chance. Il faut être prêt, grâce au travail, à la saisir ». Si tu rencontres Serrault et que tu n’as rien fait de ta vie, ça ne sert à rien. J’ai rencontré des Poelvoorde, Garcia et auparavant, j’avais beaucoup bossé. Ce sont des rencontres qui te font avancer. Tu vois, si un jour je rencontre le patron du service compétition de chez Citroën, ce n’est pas pour ça qu’il va m’engager pour le Dakar.
Je lui dirai bonjour gentiment, on boira une bonne bière et ça en restera là.

TU RACONTES DES BLAGUES COMME PERSONNE AU MONDE. TU N’AS PEUR DE RIEN. TU PARLES DES NOIRS, DES JUIFS, DES HANDICAPÉS, DES NAINS, DES CANCÉREUX, DES HOMOS…
Oui, ha ha, tout le monde ramasse. Et quand je dis, elle est malade, elle a le cancer, ce n’est qu’une métastase, et bien les gens sont morts de rire. Mais ce sont des blagues de mon spectacle ‘Les Interdites’. Normalement ces blagues ne sont pas divulguées au grand public. C’est un concept que Mike, mon collaborateur, a inventé. Les interdites sont réservées à un public qui signe une charte. Ils s’inscrivent uniquement par internet, et sont prévenus au dernier moment de la date et du lieu du spectacle. Il y a près de 1.000 personnes inscrites qui sont en attente des prochaines dates. Même chose pour le duo que je fais avec Bigard.

JAMAIS DE REPROCHES SUR LES THÈMES CHOISIS OU SUR UNE TROP GRANDE VULGARITÉ ?
Evidemment qu’on me reproche une certaine vulgarité. Mais, prenons l’exemple de mon pote Jean- Marie Bigard. J’adore ce mec-là. Bien sûr qu’il est vulgaire, mais il est surtout génial. Pas plus tard qu’hier, j’écoutais un de ses vieux sketchs.
Quand il dit : Les pauvres, ils n’ont pas de goût, il y a de magnifiques plages de sable fin à Deauville et ils s’entassent dans des campings pourris. Ce n’est que la vérité et c’est drôle.

ET QUAND TU DIS QUE TOUT LE MONDE RAMASSE …
J’avais une bonne femme en chaise roulante devant moi lors de mon dernier spectacle et je raconte une blague sur les handicapés, les paralympiques, tous ces trucs-là… Certains vont dire, attention, faut surtout pas dire du mal ou se moquer de choses aussi graves. Cette brave dame pleurait de rire et m’a remercié de désacraliser ce côté des handicapés. C’est une forme d’intégration. Ils adorent qu’on se moque d’eux. Ils sont les premiers à en rire. C’est mieux que « Attendez madame, je vais vous pousser », mais non, alleeeez, démerde toi et c’est bien mieux pour eux. Et quand je lui dis : tu es déjà assise toute la journée, faudrait-pas en plus que je te pousse ! elle se marre.

L’OURS BLEU EST UN PEU RÉDUCTEUR PAR RAPPORT À TON INCROYABLE CARRIÈRE, MAIS IL FAUT BIEN EN PARLER.
Je suis à plus d’un million de vues sur You Tube. Il parait que je devrais recevoir des petits sous pour ça. Comme je suis un gros con, que je ne suis ni procédurier ni administratif et que je ne sais pas comment il faut faire, je n’ai jamais touché un centime pour ce sketch. Et je m’en fous. Y a juste quand je vois des casquettes à vendre sur le net reprenant « Kédodo » ou « L’ours bleu » et que ces gens profitent de mes biesses blagues, ça me met les boules. Mais bon … Se faire des tunes sur mon dos et s’enrichir …

RACONTER DES BLAGUES, CE N’EST PAS DONNÉ À TOUT LE MONDE
Duez est un bon raconteur, Garcia est phénoménal, Lors d’un tournage, on se retrouve, avec Melki et Garcia, coincés dans une cave, dans le noir absolu. Panne d’électricité. Commence un ping pong de blagues incroyables Quand le courant est revenu, l’équipe ne voulait pas reprendre le tournage. C’était « allez, encore une ». C’est gai de raconter des blagues et de faire rire les gens. Je devrais être remboursé par la mutuelle, je ne sais plus qui a dit ça, mais le rire est une excellente thérapie, je vais sonner à l’INAMI.

ON TE DEMANDE SOUVENT DE RACONTER DES BLAGUES ?
Hélas oui. Mais parfois ça reste sympa. J’ai reçu une demande pour raconter la blague de l’Ours Bleu chez des gens immensément riches. J’ai dit à mon collaborateur que ça ne m’intéressait pas du tout et qu’il fasse une remise de prix abominablement exorbitante, juste pour avoir la paix. Tape un prix, je ne fais pas ce genre de truc. Et sais-tu quoi ? Ils m’ont engagé ! Et j’ai été raconter 3 blagues en 20′. Ils m’ont remis une liasse de gros billets de 500 et ils étaient contents. Bon, à la limite, dans pareil cas, je veux bien. Mais quand une connaissance me demande de venir à son anniversaire pour raconter une blague, nenni !

ET ON TE RÉCLAME CONSTAMMENT L’OURS BLEU ?
Même quand je fais un one man show sur un thème où l’ours bleu n’a rien à voir, à la fin du spectacle on me le demande. Et les gens trouvent que le spectacle était génial, mais qu’ils n’ont pas eu l’ours bleu … C’est vrai que j’en suis un peu victime. Feu Stéphane Steeman m’avait déjà dit : « Fais gaffe, ne fait pas un personnage qui te colle trop à la peau, tu ne sauras pas t’en défaire. Alain Soreil est victime de son Cougnet, Momo ne peut pas sortir de son personnage. Je n’ai donc pas l’envie de me retrouver toute ma vie à raconter l’Ours bleu.

ET TU JOUES AU GOLF ?
Oui, un peu. Je ris trop sur le terrain. Dernièrement, j’ai joué dans une compétition avec Bruno Taloche et Jean-Michel Saive. Je me suis emmerdé comme un rat mort. Eux, ils jouent très sérieusement, ils veulent performer et moi, je suis là pour me délasser. Alors, quand je ris comme un imbécile, je dois me cacher. C’est comme à un enterrement quand tu es pris d’un fou-rire.

AU CINÉMA, ON TE RETROUVE DANS UNE MULTITUDE DE RÔLES SECONDAIRES, JAMAIS DE PREMIER RÔLE.
On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Je viens de terminer mon propre film qui s’appelle Les Grands Seigneurs et où je me suis octroyé le premier rôle. Il est en montage et il sortira en première mondiale en novembre. C’est un film qui m’a coûté 54.000 €, d’habitude, c’est un million de fois plus cher. C’est un film belge, sans effets spéciaux. C’est l’histoire de la rencontre improbable de deux mecs que tout sépare. Le film est inspiré d’un fait divers atroce qui s’est passé à Visé, ou un banquier et son épouse ont été assassinés par un fêlé à qui le banquier avait refusé un prêt.
Dans le film, à la place de buter le mec, il le kidnappe. Plutôt que de braquer la banque du gars, ils vont braquer la banque de son concurrent. Evidemment, puisque la police est aux abois.
C’est l’histoire de deux bras-cassés, qui deviennent potes et qui ne devraient pas l’être. Avec Damien Gillard, très bon comédien, que je côtoie surtout dans différentes pubs, un véritable ami. De toute façon, je ne saurais pas tourner mon film avec un gars qui m’em… C’est l’immense chance quand tu es un peu connu, de ne choisir que des rôles sympas avec des gens sympas.

AS-TU UN MODÈLE OU UN ACTEUR PRÉFÉRÉ ?
Mon modèle c’est Lino Ventura. C’est un bon vivant qui possède un côté profondément humain. Il avait une fille autiste et il a fait plein de choses pour aider à combattre cette maladie dans une discrétion absolue. J’aurais voulu être une petite souris quand il cuisinait pour Blier et Gabin. L’Aventure c’est l’Aventure est un film extraordinaire. Je peux le regarder 10 X en boucle. Jamais je ne m’en lasse. Michel Serrault aussi. Ce mec était capable de faire Petiot puis la Cage aux Folles. C’est un mec qui me fascine. Comme Lino Ventura et Patrick Sébastien, il a perdu un enfant, écrasé sous ses yeux. Soit tu sombres, soit tu deviens ce qu’ils sont devenus. C’est impressionnant.

TU ES ABONNÉ AUX RÔLES DE MÉCHANTS SALES CONS.
J’adore ça. J’ai la chance de ne pas être connu comme humoriste en France, On m’appelle parce qu’ils m’ont vu dans les Convoyeurs attendent ou dans Dikkenek, où je fais des sales gros cons ou des flics méchants, Daniel Prévost me disait, quand tu vois un film, ce n’est pas un gentil qui fait avancer l’histoire. Si tu mets deux gentils plus une femme et un homme qui s’aiment, le film il est fini. Il faut un méchant pour qu’il y ait une histoire. Les gros cons, c’est très gai à jouer. Beaucoup plus gai que de jouer les amoureux transis. Puis moi, je n’ai pas le physique d’un jeune premier. Plutôt celui d’un vieux dernier. Un jour, je devais mettre des grandes claques à un gosse. Tu ne peux pas le faire chez toi quand tes gosses t’emmerdent, mais là, sur un plateau de ciné, c’est jouissif. On me dit, tu dois tabasser le petit, il t’a volé une pomme. Oufti, il a ramassé. Dans Braquo, Jean-Hugues Anglade me met la tête dans ma compote au petit déjeuner, et 3 jours après, je dois lui en mettre une. Ah, ah, vengeance. D’accord, tout est chorégraphié, il y a un maître de cascade et tout ça. Au moment où on dit action, je lui rentre dedans. J’arrête évidemment mes coups, mais comme physiquement, il a l’air d’un gars normal, j’y vais de bon cœur. Il était par terre, je shootais dedans, la totale quoi. Puis viens le Coupé. Et là, il ne se relève pas. Il reste prostré. Toute l’équipe s’arrête, silence …, je vais le trouver, ça va Jean-Hugues ? Putain, t’avais une telle haine, j’ai cru que tu allais réellement me tuer. Il avait été tabassé par une bande skins sur la berge de la Seine et il a revécu ce moment-là. Et moi, c’était pour rire… Et lui, mais toi, tu le fais bien. C’est salvateur, si je n’avais pas fait du cinéma je serais peut-être en prison ou dépressif.

DES RENCONTRES IMPROBABLES?
Garcia, rencontre fabuleuse, Gérard Lanvin, mec fascinant. Je les ai rencontrés en tournant dans Le Boulet. J’ai tourné pendant 4 jours, et on ne me voit pas dans le film. Je suis au générique, le réalisateur a coupé pas mal de scènes, le film étant trop long.

AVEC QUI D’AUTRE AS-TU JOUÉ ?
Avec Garcia, j’ai joué dans 4 films de sa femme. Avec Poelvoorde évidemment, qui me prend souvent dans ses films. Ce sont des gars qui sont fidèles. En plus, je ne leur demande jamais rien. S’ils ont un rôle pour moi, c’est super, mais je ne demande rien. Avec Joël Michiels qui est mon ami de toujours, j’ai fait de l’impro, c’est lui qui a mis en scène mon One Man Show. Je joue souvent aux cartes avec deux autres excellents potes, on parle de tout sauf de notre métier.

JE PENSE QU’ON A FAIT LE TOUR ?
Après tout ça, tu peux bien agrandir ton ID Mag ou écrire un livre. Tu peux aussi couper dans ton article. Ce sera comme Le Boulet, tu fais le titre de ton interview et puis tu coupes tout. Ce sera plus facile à rédiger, non ?

Interview : Damien Chaballe